mercredi 9 avril 2008

Debdou, 13 Mai 1911.


A cinq Heures du soir, les 2e, 3e et 4e pelotons partaient non pour Fez mais pour Debdou, avec une colonne sous les ordres du général Girardot. A 9 kilomètres dans la plaine nous nous arrêtons pour camper. Notre emplacement formait,dans un très léger vallonnement, un quadrilatère si vaste que le général s'écria «Mais nous allons à un nouveau Mennaba1!». Il ne croyait pas si bien dire.
Le camp s'établit sous de grosses gouttes de pluie qui tombaient sur les tentes avec un bruit de tambour. Pendant le dîner- la nuit était descendue vite- une sentinelle fit feu sur un Arabe qui passait. Or, c'était un inoffensif courrier qui ne savait pas le mot d'ordre. Le pauvre homme reçut la balle dans le gras du mollet et s'en plaignit amèrement. Il avait raison, je trouve; quand donc imaginera-t-on pour les indigènes qui servent dans nos rangs un costume propre à les faire reconnaître?
Le goum était parqué non loin de l'escadron. Comme il fallait s'y attendre, cette circonstance mit dans un état violent ceux de mes chevaux auxquels le scalpel n'a enseigné la sagesse. «Mabrouk», un vieux barbe qui sert de monture au lieutenant N..., s'est fait particulièrement remarquer cette nuit-là. Ayant cassé son entrave et perdu tout sens moral, il semait la panique parmi les innocentes juments des goumiers. Ceux-ci tachaient de l'effrayer par des cris rauques et lui cassaient sur le chanfrein et sur la coupe des matraques pourtant solides. Mais insensible aux manifestations hostiles, aux ha! Ha! Sauvages des gosiers maures, Mabrouk poursuivait son idée, la réalisait et se laissait emmener ensuite sans trop de résistance. On l'attachait alors solidement à un gros piquet. Fétu (dans le sens fétu de paille) pour lui!... Car cinq minutes plus tard, d'un coup sec, Mabrouk l'arrachait et s'en retournait clopinant trouvait ses amis du goum. Le bruit du piquet heurtant les cailloux allait s'éloignant à mesure qu'il s'éloignait et, tout d'un coup, les ha! Ha ! Aigus reprenaient plus pressés que jamais. Bientôt, nous vîmes revenir le délinquant couvert de sueur. Il se débattait, se cabrait et fit tant et si bien, que s'entortillant les pieds dans les cordes d'une tente, il s'écroula dessus, avec un bruit de bois cassé. Mabrouk était par terre, tout frémissant , souillé de boue et de sang. On lui attacha les membres deux par deux et le tout fut fixé à un pieu solide; ainsi couché et ligoté, il acheva la nuit dans l'humiliation.

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